3/01/2001

À PROPOS DU MOT D’ORDRE DE SOUVERAINETÉ DU QUÉBEC (suite1)

À PROPOS DU MOT D’ORDRE DE SOUVERAINETÉ DU QUÉBEC

Par Pierre Fontaine

Depuis quelques temps déjà, il me semblait qu’il existait une certaine confusion dans l’opinion générale et même dans ses propres rangs concernant la position du PCQ à propos du mot d’ordre de souveraineté du Québec.

Par exemple, j’avais observé que plusieurs membres et sympathisants du parti se déclaraient volontiers souverainistes sur son forum de débats. On s’y questionnait même sur la véritable position du Parti.

Il est vrai que lors de la fondation de l’UFP, j’ai personnellement proposé au nom du PCQ une formule de compromis permettant à une claire et évidente majorité au sein de l’UFP d’alors d’adopter une position souverainiste. Cela a contribué peut-être à cette confusion. Mais pour le PCQ, il s’agissait d’un compromis pour le programme de l’UFP et non pour son propre programme. La raison bien simple était que, considérant l’importance de la question, il était tout à fait inconcevable que l’UFP ne prenne pas position sur cette question, malgré l’absence du consensus qui avait été jusqu’alors la règle habituelle entre les partis fondateurs pour adopter d’autres éléments programmatiques. L’objectif du compromis était d’éviter une rupture, tout en nous laissant l’espace pour y être malgré tout à l’aise, puisque si nous reconnaissions la légitimité de la revendication de souveraineté (c’est-à-dire la séparation du Canada et la constitution d’un état indépendant) de la majorité de l’UFP, c’était à la condition expresse qu’elle soit un instrument d’émancipation sociale, un élément du programme dont la réalisation était liée et subordonnée à la réalisation intégrale du programme de l’UFP.

D’ailleurs, lors de son dernier congrès qui précédait juste celui de l’UFP, le PCQ avait adopté une formule de compromis semblable que le chef du Parti, André Parizeau avait négocié lui-même avec les dirigeants du RAP, pour soumettre au congrès de l’UFP. Mais une fois au congrès, la proposition ne faisait pas l’affaire des éléments les plus nationalistes qui poussaient pour une franche affirmation en faveur de l’indépendance, qui aurait pu exclure le PCQ. C’est alors qu’après avoir consulté André Parizeau (on a dû le faire sortir de la petite salle où on faisait le décompte des votes pour les postes à l’exécutif) et le camarade Bill Sloan, je me suis mis au micro pour annoncé l’amendement « historique » à la fin d’une plénière. Une fois annoncé, l’assemblée convaincue que mon amendement allait permettre l’expression de la position majoritaire tout en permettant au PCQ de demeurer à l’UFP a dû battre près d’une douzaine d’amendements plus nationalistes sur le même sujet pour être capable de disposer du mien qui obtenu la plus large majorité.

Malgré tout, bien que ce compromis avait un libellé très précis, il est bien certain que ça n’empêchait pas non plus des éléments plus nationalistes, dont les attentes n’étaient pas ainsi parfaitement comblées, de chercher par la suite à interpréter cette prise de position à leur façon, c’est-à-dire moins conditionnelle, ou de certains autres d’insister pour que la question soit reconsidérée afin de resserrer la position prise dans un sens franchement nationaliste, c’est-à-dire tout à fait inconditionnelle.

Ceci dit, ce compromis ne valait que pour l’UFP et n’impliquait nullement que le PCQ abdique de sa propre position qui demeurait non favorable à l’indépendance du Québec. C’est d’ailleurs en grande partie là l’intérêt de défendre un parti de masse fédéré, qui reconnaît et permet les différences entre ses diverses composantes. Il est vrai cependant qu’il y a eu peu d’occasion par la suite où le PCQ a défendu sa propre position, probablement en partie du fait que le journal du parti n’a presque plus été publié par la suite jusqu’au moment de la parution de la Voix du peuple il y a un peu plus d’un an, mais qui, quant lui, a pris rapidement une teinte de plus en plus nationaliste.

L’adoption du programme du PCC à son congrès de janvier 2004 aurait peut-être dû contribuer à clarifier les choses. Mais le programme semble peu diffusé de façon générale et rien d’autre ne fut publié sur le fond quant à la position adoptée par le parti sur la question de la souveraineté du Québec.

Quant au journal au La voix du peuple, il ouvre largement ses pages aux points de vue souverainistes, ce qui en soi est fort bien, mais malheureusement ne fait jamais état de la position du parti lui-même. En fait, en pratique, le journal semble être devenu pro-souverainiste malgré le programme du Parti. Dans le texte qu’il nous a soumis pour fin de débat, André Parizeau avoue de façon assez surprenante qu’ « au cours des quatre dernières années, le PCQ a dans les faits, dans la pratique, adopté un certain virage par rapport à la question nationale, lequel virage a parfois nécessité d’étirer un peu l’élastique face à ce qui était dit dans notre programme ».

Cette situation c’est confirmée officiellement lors des réunions de l’été et de l’automne 2004 du comité exécutif central du PCQ où le chef du parti a annoncé que sa position personnelle avait changé et qu’il était désormais devenu favorable au mot d’ordre de souveraineté du Québec. Il fut convenu à ce moment-là que des textes faisant état des positions convergentes comme divergentes seraient écrits et soumis pour fin de débat, puisque ce devait être là l’un des plus importants que le prochain congrès du PCQ allait être appelé à faire.

Malheureusement, il y de fortes chances finalement que ce débat n’ait pas véritablement lieu. André Parizeau prétend que la majorité des membres du Parti est déjà acquise au nationalisme et il se vante presque de pouvoir prédire le score final du vote avant le débat. Cette majorité nationaliste aurait été recrutée durant la dernière année. Pourquoi des gens qui sont nationalistes deviennent-ils membres d’un Parti qui ne l’est pas? Cela me semble plutôt curieux. Il aura nécessairement fallu que quelqu’un, de façon délibérée, poursuivant des objectifs contraire à ceux du Parti, étire vraiment beaucoup l’élastique.

D’autre part, en démettant illégalement de ses fonctions la majorité du comité exécutif du Parti, André Parizeau a réussi a déclencher une crise qui se superpose sur le débat de fond et finit par l’occulter. Les positions sont désormais campées en dépit de tout argument. Le débat sur la question nationale a été relégué au second plan par rapport à la lutte de pouvoir qui se mène maintenant dans le Parti. Et pour s’assurer de vaincre, André Parizeau n’hésite pas à accuser ses opposants, bien qu’ils fussent en majorité au comité exécutif, d’avoir constitué une fraction contre lui, et réclame maintenant leur expulsion du Parti, menaçant du même coup tout ceux qui ne voudraient pas prendre le pas, son pas.

Le présent texte se veut donc une contribution qui se situe dans ce contexte très particulier. À cause de la lutte interne qui se faisait de plus en plus aiguë, j’ai dû remettre à plus tard de terminer ce texte qui est en chantier depuis déjà quelques temps. Je m’en excuse humblement.


Notre position officielle

Il est bon je crois de rappeler d’abord quelle est la position actuelle de notre parti:
- Nous reconnaissons le droit à l’autodétermination de toutes les nations et nationalités opprimées au Canada.
- La souveraineté nationale peut s’exercer autour de trois choix: un état séparé; une confédération de nations ou d’états égaux; l’autonomie.
- Le parti privilégie par contre l’option # 2, une république confédérée de nations égales, où les nations jusqu’alors dominées jouiraient, entre autres, d’un poids prépondérant au niveau du gouvernement central grâce notamment à une Chambre des Nationalités.

À l’instar d’autres organisations communistes dans le passé, le PCC considère que la question nationale du Québec, comme les autres au Canada (autochtone, métisse, acadienne, etc.), trouvera une solution à travers la révolution socialiste au Canada (qui est donc notre but premier). Pourquoi?
1. Parce que l’ennemi du peuple québécois et des autres nations opprimées est le même que celui de la classe ouvrière au Canada: la bourgeoisie monopoliste canadienne au sein de laquelle se retrouvent des représentants québécois et canadiens français.
Philosophiquement, les communistes appliquent la méthode dialectique dans leur analyse des phénomènes et des sociétés. Dans son texte philosophique « De la contradiction », Mao Zédong explique ce qui suit:
« Dans un processus de développement complexe d’une chose ou d’un phénomène, il existe toute une série de contradictions; l’une d’elle est nécessairement la contradiction principale, dont l’existence et le développement déterminent l’existence et le développement des autres contradictions ou agissent sur eux.
Ainsi, dans la société capitaliste, les deux forces en contradiction, le prolétariat et le bourgeoisie, forment la contradiction principale; les autres contradictions, …, sont toutes déterminées par la contradiction principale ou soumise à son action. »

2. Il est nécessaire de promouvoir l’unité de la classe ouvrière à travers le pays, en alliance avec les nations opprimées contre l’ennemi commun pour accomplir la révolution socialiste.
3. Bien que le Québec ne jouisse pas d’un statut d’égalité nationale avec le reste du Canada, le mouvement pour l’indépendance ou la souveraineté du Québec n’est pas une lutte de libération nationale dans le sens qu’il ne revêt pas un caractère anti-impérialiste: le fédéralisme canadien en vertu de l’AANB accorde à la province de Québec ( comme aux neuf autres) d’importants pouvoirs que la bourgeoisie québécoise a pu utiliser pour atteindre au sein du Canada le stade du capitalisme monopoliste et impérialiste. Ses rapports avec le reste du Canada ne sont plus de type colonial.

Ne pas perdre de vue notre but, le socialisme!

Les communistes envisagent toute question politique en fonction des intérêts de la classe ouvrière et du socialisme:
« Lénine a bien averti qu’un Parti communiste doit décider de se prononcer pour ou contre la séparation dans chaque cas particulier en conformité avec les intérêts du développement social dans son ensemble et avec les intérêts de la lutte de la classe ouvrière pour le socialisme. » (William Kashtan, …, Pour l’autodétermination du Québec, plaidoyer marxiste, Éditions Nouvelles Frontières, 1978, p. 22)

Fondamentalement, bien que les communistes luttent dès maintenant pour gagner des réformes de façon à assurer le meilleur environnement pour la révolution socialiste, ils sont pleinement conscients que seul le socialisme peut donner les bases pour abolir l’oppression nationale comme les autres types d’oppression:
« En régime capitaliste, il est impossible de briser le joug national (et le joug politique en général). Pour cela, il est nécessaire de supprimer les classes, c’est-à-dire d’instaurer le socialisme…En transformant le capitalisme en socialisme, le prolétariat rend possible l’abolition complète de l’oppression nationale.» (Lénine, Bilan d’une discussion sur le droit à l’autodétermination, O.C., tome 22, pp. 349-350).

« L’oppression nationale est le fait de la bourgeoisie. C’est elle qui en tire avantage, en soutirant des surprofits sur le dos d’une main-d’œuvre à bon marché qu’elle maintient chez les nationalités opprimées. C’est par la division entre travailleurs des diverses nationalités, qu’elle provoque et alimente, que la classe capitaliste maintient sa domination sur le pays entier. Tant que la bourgeoisie exerce cette domination, elle entretient les inégalités et les injustices.» (Octobre no.8, revue théorique du PCO, spécial référendum québécois, pp. 34-35)

« Dans tout combat, il est primordial de bien identifier qui est l’ennemi principal. Cela peut éviter bien des erreurs (je souligne, ndlr.)… L’oppression nationale n’a rien à voir avec une soi-disant incompatibilité entre les groupes nationaux qui composent le Canada. Au contraire, cette oppression est plutôt le résultat de politiques qui, à travers les générations, ont été implantées de manière consciente et systématique par l’élite financière et politique. « C’est la bourgeoisie monopoliste canadienne qui est responsable de cette oppression…Cependant la bourgeoisie dans son entier, y inclus ses fractions moins développées, profite de l’oppression nationale…» (Programme du PCO) Pour le PCO, les différentes questions nationales avaient donc fondamentalement un contenu de classe. L’ennemi principal de tous les groupes nationaux opprimés est, dans chacun des cas, la bourgeoisie,…Ils affrontent tous le même ennemi auquel l’ensemble des masses travailleuses, y compris au Canada anglais, sont aussi confrontées. Conséquemment, le PCO appelait à la constitution d’un large front uni pour combattre la bourgeoisie.»
( André Parizeau, Ce que nous proposons pour régler les différentes questions nationales au Canada, Groupe communiste ouvrier, 1997, pp. 14-15 )

Le Québec n’est pas une colonie

Une autre chose que font les marxistes, c’est de faire une analyse concrète de la situation concrète. Pour cette raison, en matière de question nationale, ils tiennent compte de la réalité historique dans laquelle elle se situe. Le Québec n’est plus une colonie depuis longtemps. Et cela n’est pas qu’une simple question de sémantique, car selon Lénine, il est nécessaire…« d’établir une stricte distinction entre deux époques du capitalisme, lesquelles diffèrent radicalement du point de vue des mouvements nationaux. D’une part, l’époque où s’effondrent le féodalisme et l’absolutisme, où se constituent une société et un État démocratique bourgeois, où les mouvements nationaux deviennent pour la première fois des mouvements de masse et entraînent d’une façon ou d’une autre toutes les classes de la population dans la vie politique par le truchement de la presse, par la participation aux institutions représentatives, etc. D’autre part, l’époque où les États capitalistes sont pleinement constitués, avec un régime constitutionnel depuis longtemps établi, et où l’antagonisme est fortement développé entre le prolétariat et la bourgeoisie, époque que l’on peut appeler la veille de l’effondrement du capitalisme.» (Lénine, Du droit des nations à disposer d’elle-même, O.C. tome 20, p. 423.)

De plus, comme Lénine le dit à de multiples occasions dans ses textes, par rapport au droit des nations à disposer d’elle-même, il faut distinguer trois types de pays:
« Le premier type, ce sont les pays avancés de l’Europe de l’Ouest (et de l’Amérique), où le mouvement national appartient au passé. Le second type, c’est l’Europe de l’Est, où il appartient au présent. Le troisième, ce sont les semi-colonies et les colonies où il appartient, dans une large mesure, à l’avenir.» (Lénine, «Une caricature du marxisme», O.C., tome 23, p.39)

La première catégorie comprend grosso-modo l’Europe occidentale (Angleterre, France, Allemagne. Etc.) et les États-Unis: «…dans ces pays avancés(…), la question nationale est résolue depuis longtemps, la communauté nationale est depuis longtemps dépassée; il n’y a pas objectivement de «tâches nationales d’ensemble». «Les mouvements nationaux progressistes bourgeois y ont depuis longtemps pris fin. Chacune de ces grandes nations opprime d’autres nations dans les colonies et à l’intérieur de ses frontières.» (O.C. tome 22, p.163, La révolution socialiste et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes.)

«Dans les pays occidentaux, le mouvement national appartient à un passé lointain. …le mouvement national ne peut rien y apporter de progressif, qui élève à une nouvelle vie économique et politique de nouvelles masses de gens. Ce qui est à l’ordre du jour de l’histoire, ce n’est pas le passage du féodalisme ou de la barbarie patriarcale au progrès national, à la patrie civilisée et politiquement libre, mais le passage de la «patrie» qui a fait son temps, qui a passé le stade de la maturité capitaliste, au socialisme.» (Lénine, «Une caricature du marxisme», O.C., tome 23, p.40)

Comparant les nations opprimées de l’intérieur des frontières des métropoles impérialistes avec les colonies, Lénine explique qu’«…en Europe, les nations dépendantes ont, tout à la fois, leur propre capital et de grandes facilités pour s’en procurer à des conditions très diverses. Les colonies, elles, ne possèdent pas ou presque pas de capital en propre; il ne leur est possible d’en obtenir, sous le régime du capital financier, qu’à la condition de se laisser asservir politiquement». (Lénine O.C. tome 22, p 364, Bilan d’une discussion sur le droit des nations…)

Pour Lénine, les colonies sont ces pays (qui pour la plupart vont plus tard former le tiers-monde une fois qu’ils auront conquis leur indépendance) dont la domination impérialiste entravait le développement industriel et où une classe ouvrière au sens propre n’avait pas pu vraiment se développer. Or cela était loin d’être la situation au Canada et au Québec au début du XXième siècle, même si formellement le Canada demeurait à cette époque une colonie de l’Angleterre : «…la guerre de 1914-1918 a accéléré le développement de toutes les phases de l’économie capitaliste au Canada. Elle a aussi accéléré et renforcé la lutte de la bourgeoisie canadienne pour la reconnaissance officielle de sa souveraineté.» (Ma traduction: Tim Buck, The evolution of an imperialist power, Canada, the communist viewpoint, Progress books, 1948, p 58).

Du point de vue de la troisième Internationale communiste, il était clair que dans ces pays que Lénine définissait précédemment comme des colonies, la révolution ne pouvait pas être communiste au premier stade et que même le mouvement bourgeois d’émancipation démocratique et nationale avait un caractère objectivement progressiste. Dans ces cas-là, la lutte pour l’indépendance nationale est une nécessité, un pré-requis, une étape obligée précédant le socialisme.

Ceci dit, je crois qu’il est généralement admis dans nos rangs que le Québec n’est pas une colonie. Même l’UFP, tout souverainiste qu’elle soit, admet que « le Québec d’aujourd’hui est loin d’être une colonie (tract de l’UFP: «Fête nationale: reprenons ensemble le chemin de l’indépendance».). Elle affirme dans ce document que l’indépendance du Québec est nécessaire pour mettre fin à l’oppression nationale qui consiste essentiellement au refus du Canada de reconnaître le Québec comme nation (et par conséquent son droit à l’autodétermination).

Donc, contrairement aux colonies, dans les conditions actuelles la séparation n’est pas une nécessité objective, c’est-à-dire qu’elle n’est pas un pré-requis absolu, un passage obligé, pour le socialisme au Québec et au Canada. Il s’agit d’une question de démocratie que nous devons considérer sous l’angle des intérêts de la classe ouvrière.

Évidemment, il faut toujours tenir compte des conditions concrètes et tenir compte de l’ensemble. Ainsi, si par exemple, une occupation militaire du Québec avait lieu pour empêcher la séparation suite à un référendum dont le résultat ne serait pas reconnu par le reste du Canada, il faudrait probablement exiger et lutter pour l’indépendance, par une voie révolutionnaire. Si on prend l’exemple de la Pologne, Marx en proposait l’indépendance au XIXième siècle dans le but d’affaiblir la réaction en Europe dont le plus farouche représentant était la Russie tsariste. Mais, à l’époque de la première guerre mondiale, à la veille de la révolution en Russie, « on ne saurait être actuellement pour une telle revendication démocratique (une Pologne indépendante) qui, en pratique, nous soumet entièrement à une des puissances ou coalitions impérialistes » (Lénine, «À N.D. Kiknadzé», O.C., tome 35, pp.244-245)

Comment devons-nous poser la question de la démocratie?

Mais comme le dit André Parizeau dans sa contribution pour le débat, nous ne pouvons pas nous contenter d’affirmer que le socialisme résoudra la question. Nous devons lutter dès maintenant pour un maximum de démocratie parce que cela favorisera la lutte pour un changement encore plus fondamental:
« Plus le régime est démocratique, et plus il est évident pour les ouvriers que l’origine du mal est le capitalisme et non l’absence de droits. Plus l’égalité en droits des nations est complète (elle n’est pas complète sans la liberté de séparation), et plus il est évident pour les ouvriers de la nationalité opprimée que tout tient au capitalisme, et non à l’absence de droits. » (Lénine, Une caricature du marxisme et à propos de l’«économisme impérialiste», O.C., tome 23, pp. 79-80).

Bref, là-dessus je suis d’accord avec André Parizeau. Mais à partir de là nos chemins s’écartent parce qu’à mon point de vue, il adopte ensuite une position étroitement nationaliste. Ainsi, dès le départ il affirme que jusqu’à un certain point, la question nationale peut « transcender les intérêts de classe d’un groupe ou l’autre de la société ». Il nous donne ensuite un avertissement inquiétant: certains (on ne sait trop qui?) voudrait reléguer à plus tard la lutte pour solutionner la question nationale (laquelle, pourrions-nous demander? La question acadienne? Mohawk? Cri? Montagnaise? Métisse? Franco-ontarienne?…) et par conséquent la lutte pour un maximum de démocratie, ce qui serait une faute grave puisque ça revient, prétend-il, à ne pas respecter notre programme. En fait, il commet un splendide sophisme en laissant entendre que pour être démocrate, il faut appuyer obligatoirement l’indépendance du Québec. Il va plus loin en affirmant que le programme du parti et la constitution du PCQ, étant déjà favorables au moins implicitement à la souveraineté du Québec, il suffit presque, par voie de conséquence, de libeller plus clairement la section du programme traitant de la question nationale du Québec, en s’affichant positivement et inconditionnellement pour la souveraineté ou la séparation immédiate. C’est comme si ce n’était pas vraiment un amendement au programme mais une simple question de formulation du texte.

Or, d’un point de vue marxiste, il faut toujours subordonner la revendication de la libre expression de la volonté nationale aux intérêts de la lutte de classe du prolétariat. « Et c’est précisément dans cette condition que réside la différence entre notre façon de poser la question nationale et la façon d’un démocrate bourgeois. Celui-ci (ainsi que le socialiste opportuniste contemporain qui suit ses traces) s’imagine que la démocratie élimine la lutte de classe, et c’est pourquoi il pose toutes ses revendications politiques dans l’abstrait, en bloc, « inconditionnellement », du point de vue des intérêts de « tout le peuple », ou même du point de vue d’un absolu moral éternel. Le social-démocrate dénonce impitoyablement ces illusions petites-bourgeoises, toujours et partout, qu’elles s’expriment dans une philosophie idéaliste abstraite ou dans la façon de poser inconditionnellement la revendication de l’indépendance nationale ». (Lénine, La question nationale dans notre programme, O.C., tome 6, p. 477).

Notamment, il est important de souligner qu’il s’agit de subordonner la revendication de libre disposition non seulement aux intérêts du prolétariat national, mais aux intérêts du prolétariat international. Prenant le cas de la Norvège que justement cite André dans son texte, Lénine faisait la mise en garde suivante:
« Si les ouvriers norvégiens n’avaient pas posé conditionnellement la question de la séparation, c’est-à-dire de telle sorte que même les membres du parti social-démocrate pouvait voter et faire de la propagande contre la séparation ( je souligne, ndlr.), ils auraient enfreint leur devoir d’internationalistes et seraient tombés dans un nationalisme norvégien étroit, bourgeois. Pourquoi? Parce que c’est la bourgeoisie, et non le prolétariat, qui accomplissait la séparation! Parce que la bourgeoisie norvégienne (comme toute autre bourgeoisie) s’efforce toujours de semer la division entre les ouvriers de son pays et ceux d’un pays «étranger»! Parce que toute revendication démocratique (y compris la libre disposition) est subordonnée, pour les ouvriers conscients, aux intérêts supérieurs du socialisme. Si, par exemple, la séparation de la Norvège d’avec la Suède avait signifié, certainement ou probablement, la guerre entre l’Angleterre et l’Allemagne, les ouvriers norvégiens auraient dû, pour cette raison, être contre la séparation. Quant aux ouvriers suédois, ils auraient alors eu le droit et la possibilité, sans cesser d’être des socialistes, de faire de l’agitation contre la séparation, uniquement dans le cas où ils auraient systématiquement, méthodiquement, constamment, lutté contre le gouvernement suédois pour la liberté de séparation de la Norvège.» (Lénine, Une caricature du marxisme, O.C., tome 23, pp 60-61).

Dans son texte, André laisse croire que Lénine appuyait la séparation de la Norvège de la Suède. Or ce que Lénine approuve dans le cas de la Norvège dont il se sert à des fins didactiques, c’est la méthode. C’est-à-dire qu’il propose que la chose se fasse de façon la plus démocratique possible, la plus pacifique possible, en permettant au peuple de trancher la question via un référendum. C’est le scénario idéal. Au Québec, ça fait deux fois depuis 1980 que ce scénario idéal s’applique. Cela n’est pas cependant une prise de position en faveur ou contre la séparation de la Norvège, ni une consigne de vote.

La Norvège était une province danoise depuis le 14ième siècle. En 1814, suite à la défaite de Napoléon Bonaparte, les puissances européennes victorieuses forcèrent le Danemark allié de l’Empereur vaincu de céder la Norvège à la Suède. Mécontente, la Norvège proclama aussitôt son indépendance. Mais menacée militairement, elle accepta finalement la tutelle de la Suède mais négocia une très large autonomie, qui fut renforcée par la suite tout au cours du 19ième siècle jusqu’à son indépendance. En 1905, le parlement norvégien proclama l’indépendance du pays et fit ratifier sa position par un plébiscite. Le peuple norvégien vota majoritairement en faveur de la séparation et pour le couronnement du prince héritier du Danemark, Charles, roi de Norvège.

Bref, la tutelle de la Suède sur la Norvège était un résidu historique des guerres napoléonienne, et ces conditions historiques particulièrement favorables ont fait en sorte de permettre un scénario exemplaire d’exercice du droit d’autodétermination ayant d’une certaine façon, valeur universelle quant à la façon la plus souhaitable de faire les choses.

Mais Lénine est surtout intéressé par les principes qui soutiennent la politique des communistes dans des situations semblables au cas de la Norvège, c’est-à-dire à ce qu’ils devraient mettre de l’avant. Notamment, il insiste qu’ils auraient dû au minimum exiger « la république » et lutter contre la monarchie. Mais Lénine ignorait comment s’était prononcé le parti norvégien en pratique en 1905 sur la question de la séparation et ne se livre pas lui-même à une analyse en vue de trancher la question: « Pour ce qui est de la séparation, nous ignorons si le programme socialiste norvégien faisait un devoir aux social-démocrates de Norvège de s’en tenir à une seule opinion déterminée. » (Lénine, « Du droit des nations à disposer d’elle-même », O.C. tome 20, p.452). Aussi se contente-t-il d’avancer des principes. Par exemple: « Et l’ouvrier norvégien? Était-il tenu, du point de vue de l’internationalisme de voter pour la séparation? Absolument pas. Il pouvait, tout en restant social-démocrate, voter contre. Il n’aurait enfreint son devoir de membre du parti social-démocrate que s’il avait tendu une main fraternelle à un ouvrier cent-noir suédois qui se serait prononcé contre la liberté de séparation de la Norvège. (Lénine, « Une caricature du marxisme », O.C., tome 23, p. 56)

Si on relit bien Lénine, incluant le tome 20, on constate qu’en fait son approche est tout le contraire de celle d’André.

Par exemple, André étire un peu trop l’élastique dans son sens lorsqu’il interprète Lénine dans son texte et souligne en caractère gras: « Qui plus est, Lénine va même jusqu’à souligner dans ce texte (Du droit des nations à disposer d’elle-même, ndlr) que le développement d’États-nation est en fait une voie normale tandis que le maintien d’États multinationaux, englobant aussi bien une nation dominante qu’une ou plusieurs autres nations dominées, représenteraient en fait un développement anormal, reflétant le plus souvent un état de développement démocratique plus arriéré.

Or Lénine ne parle nullement de « développement démocratique » mais plutôt des facteurs économiques qui favorisent le commerce et favorisent par là-même la constitution d’États-nations: « …ce qui est typique, normal en période capitaliste, c’est donc l’État national. Quant aux États multinationaux, il cite Kautsky qui dit que pour une raison ou une autre, leur formation interne est restée anormale ou insuffisante. Mais il prend la peine de préciser ceci: « Il va sans dire que Kautsky emploie le terme d’anormal exclusivement dans le sens de non conforme à ce qui est le mieux adapté aux exigences du développement capitaliste. (Lénine, « Du droit des nations à disposer d’elle-même », O.C. tome 20, p.419-420) (je souligne, ndlr.) J’ajouterais pour ma part, en toute humilité, que lorsque Kautsky parle du développement d’État nationaux normaux, il pense probablement à l’expérience typique de l’Europe où ceux qui se sont développés les premiers devinrent ensuite aussi les États impérialistes qui ont dominé les autres et ont empêché leur développement. Mais ces États nationaux ont aussi été ceux qui ont colonisé l’Amérique, et ont sait à quel prix (notamment en exterminant près de 60 millions d’autochtones et en important d’Afrique des millions d’esclaves). Cette colonisation relativement récente à l’échelle de l’histoire a fait en sorte que les États-Unis par exemple soient un État multinational, comme le Canada, et que selon le schéma de Kautsky, seraient un État anormal, arriéré. Pourtant nous savons tous que les État-Unis sont la plus grande puissance impérialiste de l’histoire, là où le développement capitaliste a été poussé le plus loin.

D’autre part, il est faux de laisser entendre que le PCC n’aurait pas de proposition de réforme démocratique à mettre de l’avant ou qu’elle serait incomplète ou à développer. En réalité, le PCC a déjà une proposition élaborée de réforme démocratique, réalisable dès maintenant et non seulement plus tard, qui certes n’est pas la séparation ou la souveraineté complète, mais au contraire celle d’une nouvelle constitution au Canada fondée sur l’association égale et volontaire des nations, garantissant leur égalité en droit, dont le droit à l’autodétermination, c’est-à-dire de se constituer, si tel est leur désir, en états souverains. Loin d’aller dans le même sens ou de se compléter, la position du PCC et celle d’André Parizeau sont en totale contradiction, car, l’intention avouée de la proposition du PCC est justement d’éviter la séparation du Québec. Cette «solution démocratique à la question nationale créera des conditions pour préserver l’unité du Canada et pour revaloriser la lutte commune de la classe ouvrière du Canada contre la domination du capital monopoliste. C’est précisément la solution démocratique à la question nationale qui créera les conditions nécessaires au renforcement de l’unité des travailleurs et à la réalisation par la classe ouvrière de sa mission historique, le socialisme.» (William Kashtan, …, Pour l’autodétermination du Québec, plaidoyer marxiste, Éditions Nouvelles Frontières, 1978, p. 24)

Est-ce qu’une confédération de nations égales en droit implique « une bonne dose de souveraineté »? Bien sûr, puisque la proposition du PCC implique que le peuple québécois décide librement de demeurer associé dans cette confédération égalitaire et rejette tout aussi librement et volontairement la séparation.

La proposition du PCC pour améliorer la démocratie embrasse l’ensemble des questions nationales à la grandeur du Canada, contrairement à la proposition d’André Parizeau qui elle ne considère que l’une d’elles, en l’occurrence la question québécoise. Dans ce sens, la proposition du PCC représente plus de démocratie que la proposition de séparation du Québec pour deux raisons principales: d’abord, sous le rapport quantitatif, elle représenterait un progrès pour un plus grand nombre de nations et pas seulement l’une d’elle; deuxièmement, sur le plan qualitatif, la séparation du Québec telle que proposée par la bourgeoisie va nécessairement soulever des tensions entre les nations, particulièrement avec les nations autochtones, que les nationalistes bourgeois ne manqueront pas d’assimiler avec les forces chauvines sécessionnistes. Alors le soi-disant gain de démocratie pour la majorité québécoise au Québec, risquerait fort de représenter un recul net pour les nations autochtones, minoritaires. Évidemment, on comprend que dans une pareille situation, il n’y aurait pas véritablement de gain démocratique pour personne. Au contraire, la proposition actuelle du PCC permet d’envisager la possibilité de créer un large front uni multinational des nations opprimées au Canada pour une réforme globale et dont le terrain, à cause de l’arbitrage obligé que les diverses nations devraient faire entre elles pour constituer ce front, serait davantage celui de la lutte contre l’oppression nationale, plutôt que la recherche d’avantages ou de privilèges pour l’une d’elle.

Il ne faut pas oublier que la revendication de la bourgeoisie québécoise est en fait d’obtenir un statut d’égalité avec le reste de la bourgeoisie canadienne mais en tant que privilège de faire partie du cercle dominant des soi-disant «deux peuples fondateurs» au mépris des autres nations. Notamment, la bourgeoisie québécoise entend exercer sa souveraineté non seulement sur le territoire de la nation québécoise mais sur l’ensemble des territoires formant la province, dont les deux-tiers ont en réalité été annexé au Québec au début du XXième siècle par le gouvernement fédéral, sans avoir consulté leurs légitimes propriétaires, les nations autochtones.

Lors de la crise de Kanesatake à l’été 1990, Pierre Valière, ancien dirigeant du FLQ, qui a consacré sa vie à la cause de la souveraineté du Québec et qui s’était joint au comité de soutien avec les autochtones avait déclaré dans un discours qu’il avait prononcé lors d’une manifestation à Montréal que selon lui, le règlement des questions nationales autochtones au Québec étaient un pré-requis absolu pour la souveraineté du Québec, car, avait-il dit, un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être libre. En fait, on pourrait ajouter quant à nous, dont l’objectif est le socialisme, que loin d’en éclairer le chemin, un tel contexte de tensions nationales le couvrirait d’un épais brouillard.

Cette analyse fut longtemps partagée par André Parizeau. Un peu avant le référendum de 1995, dans un éditorial du journal La Nouvelle Forge, il expliquait ainsi le mot d’ordre d’annulation du Groupe communiste ouvrier:
« Certains nous accuseront d’être indifférents à la question nationale. Au contraire, c’est une question que nous considérons extrêmement importante. Non seulement la question nationale du peuple québécois, mais aussi toutes les autres questions nationales (autochtones, minorités françaises hors-Québec, etc). Mais contrairement aux autres forces politiques qui ont plutôt tendance à voir chaque question d’un point de vue très étroit, notre approche est globale. Nous sommes mêmes pour une réforme radicale de tout le Canada. Tant au point de vue constitutionnel qu’à tous les autres niveaux. Nous sommes pour une reconnaissance sans équivoque de l’égalité de toutes les nations qui composent actuellement le Canada. Nous sommes également pour une réforme complète des structures afin de refléter la multiplicité des différents groupes nationaux. Mais là ne s’arrête pas nos revendications. En fait, nous luttons pour l’abolition intégrale du capitalisme. Notre objectif ne peut donc pas être d’appuyer telle fraction de la bourgeoisie contre une autre.» (LNF, no. 9, septembre 1995)

À propos des règles et de l’exception

Contrairement à ce que prétend André aujourd’hui dans son texte, le marxisme-léninisme a depuis longtemps établi un certain nombre de principes encadrant nos prises de positions sur la question de se prononcer pour ou contre la séparation d‘une nation:
« …ce n’est pas l’affaire du prolétariat de présenter de semblables revendications, qui se ramènent inévitablement à la revendication de créer un État de classe autonome. L’affaire du prolétariat, c’est d’unir plus étroitement les plus larges masses possibles de toutes les nationalités, de les unir afin de lutter sur le terrain le plus large possible pour la république démocratique et pour le socialisme. Et si l’arène politique qui nous est donnée à l’heure actuelle a été créée, se maintient et s’élargit au moyen d’une série de violences révoltantes, nous devons précisément, pour lutter efficacement contre toute forme d’exploitation et d’oppression, non pas éparpiller, mais réunir les forces de la classe la plus opprimée et la plus apte à la lutte, c’est-à-dire la classe ouvrière.» (Lénine, À propos du manifeste de l’Union des social-démocrates arméniens, O.C., tome 6, p. 335)

Ces principes appliqués à la situation au Canada impliquent que les communistes doivent s’efforcer d’unir la classe ouvrière à travers tout le pays pour parvenir au socialisme et mettre fin à l’oppression nationale. Pour réaliser l’unité de la classe ouvrière, nous devons lutter pour la reconnaissance du droit à l’autodétermination des nations opprimées. C’est précisément notre programme actuel.

Cependant, la reconnaissance du droit à l’autodétermination des nations, incluant le droit de se séparer, ne signifie nullement que nous soyons obligés de soutenir la séparation ou la souveraineté comme telle comme le suggère André:
« Est-ce que la reconnaissance du droit à l’autodétermination des nations exige vraiment le soutien de n’importe quelle revendication d’autodétermination émanant de n’importe quelle nation? La reconnaissance du droit pour tous les citoyens d’organiser des associations libres ne nous oblige nullement, nous, social-démocrates, à soutenir la formation de n’importe quelle association nouvelle, elle ne nous empêche nullement de nous prononcer et de faire de la propagande contre l’idée de former telle ou telle nouvelle association, si l’idée en est inopportune et déraisonnable. Nous reconnaissons même aux jésuites le droit de faire librement de la propagande, mais nous luttons (non pas, cela va de soi, par des méthodes policières) contre toute union des jésuites et des prolétaires. » (Lénine, La question nationale dans notre programme, O.C. tome 6, p 476)

Au contraire de Lénine, André, reprend les vieux arguments nationalistes à l’effet que pour être véritablement démocrates et conséquents avec notre reconnaissance du droit à l’autodétermination des nations, nous devons soutenir pratiquement et activement la séparation des nations. Le droit ne vaut rien si on ne l’exerce pas, semble-t-il se dire, confondant le droit et l’application: «Comment ces camarades pourraient-ils décemment expliquer en quoi ils sont d’accord avec le principe du droit à l’autodétermination s’ils s’opposent justement au principe de la souveraineté de chaque nation? Ce serait en fait une méchante contradiction…» (Texte d’André Parizeau)

Voici une longue citation de Lénine qui je crois répond bien à son questionnement:
«La bourgeoisie, qui a tout naturellement, au début de tout mouvement national, une position d’hégémonie, qualifie d’action pratique le soutien de toutes les aspirations nationales. Mais la politique du prolétariat dans la question nationale (de même que dans les autres questions) ne soutient la bourgeoisie que dans une direction déterminée, sans jamais coïncider avec la politique de cette dernière. La classe ouvrière soutient la bourgeoisie uniquement dans l’intérêt de la paix nationale (que la bourgeoisie ne peut assurer entièrement et qui est réalisable qu’à la condition d’une entière démocratisation), dans l’intérêt de l’égalité en droits, afin que la lutte de classe se déroule dans l’ambiance la plus favorable. Aussi les prolétaires opposent-ils au praticisme de la bourgeoisie une politique de principe dans la question nationale, n’accordant jamais à la bourgeoisie qu’un soutien conditionnel.
Dans la cause nationale, toute bourgeoisie veut soit des privilèges pour sa nation, soit des avantages exceptionnels pour celle-ci; c’est ce qu’on entend par être «pratique». Le prolétariat est contre tout privilège, contre tout exclusivisme. Exiger qu’il soit «pratique», c’est marcher sous la houlette de la bourgeoisie, c’est verser dans l’opportunisme. (je souligne, ndlr)
Répondre par « oui ou non » à la question de la séparation de chaque nation? C’est là, semble-t-il, une revendication très « pratique ». Or en fait , elle est absurde, elle est métaphysique quant à son aspect théorique et, pratiquement, elle tend à subordonner le prolétariat à la politique de la bourgeoisie. (Je souligne, ndlr) La bourgeoisie place toujours au premier plan ses propres revendications nationales. Elle les formule de façon catégorique. Pour le prolétariat, elles sont subordonnées aux intérêts de la lutte de classe. Théoriquement, on ne saurait affirmer par avance si c’est la séparation d’une nation ou son égalité en droits avec une autre qui couronnera la révolution démocratique bourgeoise; pour le prolétariat il importe dans les deux cas d’assurer le développement de sa propre classe; ce qui importe pour la bourgeoisie, c’est d’entraver ce développement, en faisant passer les objectifs du prolétariat après ceux de « sa » nation. Aussi ce dernier se borne-t-il à revendiquer de façon négative, pour ainsi dire, la reconnaissance du droit de libre détermination, sans rien garantir à aucune nation, sans prendre aucun engagement au sujet d’une autre nation
Cela n’est pas « pratique »? Soit. Mais, en fait, c’est la meilleure garantie de la plus démocratique des solutions possibles: ce qu’il faut au prolétariat, ce sont uniquement ces garanties (je souligne, ndlr), alors que la bourgeoisie de chaque nation désire voir garantir ses avantages, sans égard à la situation (avec ses inconvénients éventuels) des autres nations. » (Lénine, Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes, O.C. tome 20, pp. 432-433)

Résumons-nous: les communistes en matière nationale considèrent avant tout l’intérêt de la lutte de la classe ouvrière, non seulement du point de vue de la classe ouvrière de la nation opprimée, mais de la classe ouvrière internationale pour le socialisme. À cette fin, ils recherchent surtout la paix nationale et le meilleur contexte favorisant l’unité de la classe ouvrière pour la lutte de classe et pour le socialisme. Cette paix nationale ne saurait être assurée que par la démocratie la plus large et par l’égalité des nations en droit. L’inégalité et l’oppression nationale ont pour effet de diviser la classe ouvrière et de soumettre celle-ci à la politique sa bourgeoisie nationale et par conséquent d’entraver la lutte pour le socialisme. Les communistes des nations dominantes doivent pour contrer cette division et pour permettre l’unité de la classe ouvrière défendre inconditionnellement le droit des nations opprimées de se séparer. Les communistes des nations opprimées quant à eux « doivent défendre au premier chef l’unité et l’alliance des ouvriers des nations opprimées avec ceux des nations oppressives, sinon ces » communistes «deviendront les alliés de telle ou telle bourgeoisie nationale, toujours prête à trahir les intérêts du peuple et de la démocratie, toujours prête, pour sa part, à annexer et opprimer d’autres nations ». (Lénine, Le prolétariat révolutionnaire et le droit des nations à disposer d’elles-mêmes, O.C. tome 21, p 424)

Cela ne signifie pas que les communistes ne peuvent jamais appuyer le mot d’ordre de séparation, mais ce n’est qu’à certaines conditions et à titre exceptionnel qu’ils peuvent le faire: « Nous devons toujours et inconditionnellement tendre à l’union la plus étroite du prolétariat de toutes les nationalités, et c’est seulement dans des cas particuliers, exceptionnels (je souligne, ndlr) que nous pouvons exposer et soutenir activement des revendications tendant à la création d’un nouvel État de classe ou au remplacement de l’unité politique totale de l’État par une union fédérale plus lâche, etc. ( Lénine, La question nationale dans notre programme, O.C. tome 6, p 475)

Suite : À PROPOS DU MOT D’ORDRE DE SOUVERAINETÉ DU QUÉBEC (Suite2)

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